En venant faire une rando ou du ski, vous vous êtes probablement déjà demandé :
d'où vient le nom de Chamrousse ou de Belledonne ?
pourquoi le lac Achard et Roche Béranger s'appellent comme ça ?
que signifie Arselle ou Bachat-Bouloud ?
Voici un article qui cherchera à expliquer l'origine des noms de lieux, la toponymie des environs de Chamrousse.
Je m'appuie sur des références bibliographiques, des conversations avec Thierry Grand, ancien président du Centre de Géologie de l'Oisans et certains documents historiques, notamment recueillis par Vincent Julien et exposés par l'Office de tourisme de Chamrousse.
Bibliographie
Noms de lieux du Dauphiné, Jean-Claude Bouvier
Les noms du paysage alpin, Hubert Bessat et Claudette Germi
Les noms du patrimoine alpin, Hubert Bessat et Claudette Germi
Guide du relief des Alpes françaises du Nord, Henri Widmer
Les noms de lieux de la région du Mont-Blanc, Roland Boyer
Lieux-dits entre Dranse et Arve, Gilbert Künzi
Ces ouvrages de toponymie ne couvrent pas tous la région de Chamrousse et ne sont pas toujours pertinents pour donner la bonne explication. Les parlés locaux ont divergés et peuvent mener à des erreurs d'interprétation. On ne retiendra pour les alentours de Chamrousse que les origines les plus anciennes, les plus susceptibles d'avoir menées à une dénomination commune.
Toponymie en ligne
On pourra également jeter un oeil à Topora, un site dédié à la toponymie en Rhône-Alpes créé par l'UCLY.
Ou à ce site qui fonctionne comme un dictionnaire des toponymes alpins.
L'IGN met également à la disposition de ceux qui cherchent à connaître la signification des noms portés sur leurs cartes ce dictionnaire. Malheureusement il regroupe toutes les régions de France et trouver l'explication liée aux Alpes, voire au Dauphiné est compliqué.
Toponymie / Topographie

L'histoire des noms des lieux, lieux-dits, hameaux, sommets, vallées, ... s'appuie autant sur les désignations locales encore en usage que sur les travaux des cartographes successifs qui se sont attelés à mettre sur papier les paysages et la façon qu'avaient les populations locales de les dénommer depuis des époques lointaines.
A plat sur la carte se retrouve une histoire en 3 dimensions qui à travers les appellations retrace les manières d'habiter, de cultiver, de pâturer, d'exploiter, de circuler, ... bref le vécu des montagnards depuis les premières civilisations colonisatrices.
En allant jeter un œil sur les données gratuites de Géoportail on pourra se rendre compte que les cartes anciennes sont riches d'informations sur l'histoire de Chamrousse.
En croisant les infos toponymiques et cartographiques on pourra se faire une idée intéressante des différents usages dévolus aux 3 pôles de la station à travers les époques.
On pourra également s'amuser à retrouver les chemins historiques allant de la vallée à l'Alpage et pourquoi pas, tenter de les retrouver lors d'une randonnée !
Avec une lecture attentive des cartes anciennes on pourra repérer de nombreux chemins historiques. Certains encore en usage, la forme particulière du tracé ou leur emplacement stratégique ne laisse que peu de doute. D'autres ont disparus, suite à la création de nouveaux itinéraires ou par changement des habitudes. On retrouve également de nombreuses constructions aujourd'hui disparues mais sur des sites devenus emblématiques de la station. Les cartes du XIXème siècle préfigurent la future utilisation des espaces par les trois pôles de la station.
Par contre on remarquera que les sentiers anciens dessinent une circulation "verticale" sur la montagne : des villages aux alpages. Et que même s'il devait exister de nombreuses sentes connectant "horizontalement" les cabanes, les cartographes ne les ont pas retenues.
Les itinéraires les plus faciles connectaient les pâturages de Chamrousse au débonnaire versant Ouest, aux villages et hameaux des collines bordières entre Belledonne et le Grésivaudan. Mais quelques passages permettaient aussi l'accès depuis les vertigineux flancs Est, vers la vallée de la Romanche.
On retrouvera une synthèse de ces itinéraires historiques vers Chamrousse sur cette carte en PDF.
Métissages
Le recul significatif et durable des grands glaciers du Würm (1000m de glace au dessus de Grenoble il y a 25000 ans) à donné le top départ à des vagues successives de colonisation. Les plaines issues de l'atterrissement des grands lacs alpins préhistoriques, comme le Grésivaudan sont les premières conquises puis ce sont les piémonts et enfin les alpages qui sont peu à peu fréquentés.
L'étude des toponymes anciens permet d'entre-apercevoir différentes couches linguistiques qui se sont empilées au fur et à mesure que de nouveaux arrivants s'appropriaient l'espace en le nommant pour eux-mêmes. Les plus vieilles civilisations ne laissant des indices que dans de vagues préfixes communs aux sommets ou aux cours d'eau.
Les points caractéristiques des montagnes sont les mêmes partout : sommets, rochers, ravins, espaces ouverts, prés, pentes, couloirs d'avalanches, cours d'eau ou lacs, ... Cette ressemblance accentue les redoublements mais aussi des noms très différents pour des origines communes.
Pour Chamrousse et ses alentours on distingue grâce à notre loupe à remonter le temps le passage :
avant -500, des Pré-indo-européens (langue qui subsiste chez les Basques ou les Sames en Laponie)
à partir de -500 environ, des Indo-européens : les Celtes (les tribus Gauloises)
autour de l'an 0, de la colonisation Romaine avec la progression du Latin
aux alentours du IXème siècle, de l'isolement linguistique d'une partie du Dauphiné par rapport au Sud (Occitan) et au Nord (langue d'Oï) de la France en développant le Francoprovençal qui deviendra les différents patois
de l'unification progressive du territoire français (la Savoie voisine ne rejoint la France qu'en 1860 !) avec des noms redondants portés sur les cartes
de la globalisation récente du langage véhiculés par les nouveaux toponymes commerciaux : Chamrousse Mountain Park, Alpes Ishere, ...
Carte ancienne de Chamrousse datant de 1905 à destination des "touristes". On notera les itinéraires venant depuis la Romanche.
Explication des noms de lieux aux alentours de Chamrousse
Pour cet essai de toponymie, j'ai retenu la région couverte par la carte IGN affichée plus haut, le Sud du massif : du Luitel au Grand Pic de Belledonne.
Ne soyez pas surpris par des noms qui se doublent ou triplent, chaque population ayant ajouté sa dénomination devant celle de leurs prédécesseurs.
Un exemple classique : le lac Lauvitel. Les premiers arrivant disent dans leur langage le "Vitel" pour désigner le lac qui était à proximité de chez eux, sans lui donner de nom particulier. Une seconde vague de population l'appelle le "laux" (lac) Vitel. Puis les cartographes notent en se référant aux indications des habitants : le lac "Lau(-)vitel".
Je ne détaille pas dans cet article le détail de chaque interprétation, ceux qui veulent aller plus loin pourront feuilleter la bibliographie citée plus haut.
Aiguille : plusieurs lieux portant ce nom. Il vient de l'eau, la source, souvent "aigues" ou "aygue", du latin.
Arselle : cabane servant à faire le fromage (avec un C, on y aurait pu y voir un pâturage ensoleillé, ça colle aussi). Les cartes anciennes montrent au moins 3 cabanes aujourd'hui disparues sur le site. Dont une à la fontaine Badet.
Bachat Bouloud : le "bachat" est un abreuvoir, "Bouloud" le nom d'une personne (probablement provenant d'un endroit avec des bouleaux). la "Vieille Arselle" sur les anciennes cartes.
Balme (grotte de la ...) : baume, porche ou caverne dans la paroi de cargneule. Il y avait une cabane à proximité et l'un des itinéraires pour le Recoin passait par là.
Belledonne : Beaucoup de suppositions de la part des spécialistes. La plante "belladone", "le Belle Donne" (les belles dames en italien, pluriel de bella donna, sachant que j'entends régulièrement des Savoyards appeler le massifs "les" Belledonnes) ou encore une origine ancienne, "la montagne de la vallée cachée/secrète/sacrée" (et effectivement le sud du massif se caractérise par de grands replats intérieurs protégés de la vue depuis les grandes vallées extérieures par des sommets élevés).
Casserousse : la "Casse" est un pierrier, le nom se dédouble avec le "rousse" pour roche.
Chalanches : rappelle l'avalanche, lieu surmonté de couloirs d'avalanches.
Chamrousse : Les interprétations sont multiples. Pour "Cham", on donne haut-plateau dénudé, sommet ou pâturage. Pour "rousse" on donne roches, rocheux, éventuellement rouge. Le "haut plateau pierreux" semble le plus probable, il colle bien au relief de la Croix de Chamrousse.
Clôt des Vernes : Pour les vernes, pas de souci, ce sont les aulnes verts de cette combe froide. Pour le clôt, le T indique un replat, à moins que le cette lettre finale soit arrivée ici par erreur. Un "clos", renverrai à un endroit fermé.
Dent d'Alexandre : pour la dent c'est facile, pour Alexandre, aucune idée !
Descendus (cabane des ...) : serait-ce là qu'attendaient à l'automne une partie de ceux qui étaient montés à l'alpage ?
Echaillon : probablement un passage raide, en échelle. Un itinéraire arrive depuis la petite Vaudaine et emprunte l'étroiture aujourd'hui plus utilisée par ceux qui randonnent en direction de la Pra par le lac David. Une cabane est indiqué près de ce carrefour sur les anciennes cartes.
Echarina : lieu raviné
Escombailles : "Esc" indique le passage raide, une "échelle". C'est assez probable avec l'ancien sentier arrivant depuis Livet, dans la Romanche.
Fare (pic de la ...) : ce pic qui se détache du reste du massif est-il "en-dehors", "fora" de Belledonne ?
Fontaine de l'Ours : replat humide du côté de Fontfroide, assez explicite.
Fontfroide : La source (fontaine) froide.
Frâches (cîme des ...) : pour ravins, éboulements visibles depuis la Romanche.
Freydane : les eaux froides, descendant du glacier.
Gaboureaux : "gab/gav" pour ravins, aujourd'hui plus ou moins disparus avec l'aménagement des pistes.
Habert : cabane pastorale, chalet-fruitier. La chabotte (Il y a le habert des sabottes plus au Nord) n'était qu'un abri sommaire pour le berger.
l'Homme (rochers, trou, brêche de ...) : Rocher se détachant du reste de la falaise comme une "silhouette". On fera le lien ou non avec les Belles Dames.
Infernet (col de l'...) : lieu qui est "à l'envers", qui ne prend pas le soleil. Le nom est probablement monté du petit lac en contrebas à côté duquel on trouve des ruines d'une cabane indiquée sur les cartes anciennes.
Jasse Bralard : les "jasses" sont des bergeries. Le nom est probablement monté vers le sommet. "Bralard" pourrait rappeler un milieu humide, mais c'est douteux.
Lauze : habituellement "pierres plates" mais ici, pas de pierres plates et le toponyme désigne une forêt et récemment le lac de retenue collinaire. Sur les vieilles cartes une rivière est dessinée, alimentant les tourbières des clairières. C'est ce que pourrait désigner ce terme : un ou plusieurs cours d'eau.
Lauzière (la grande ...) : Cette fois ce sont bien des pierres plates. Le sommet est composé de schistes du carbonifère.
Léama (lac ...) : Lé pour lac.
Lessines : anciennement lessive. Pourrait venir de la laîche, une plante des milieux humides. Mais dans ce cas le toponyme serait monté depuis la zone du lac des Escombailles.
Levetel (lac ...) : deux puis trois fois "lac" ou "eau".
Mirebel : la belle vue, le belvédère.
Pourettes : rappelle la "porte" ou le "port" des toponymes méridionaux pour un col ou un passage étroit. Il y a un col de la Portette près de la grande Lance d'Allemond.
Pra : le pré, assez évident avec cette magnifique plaine devant le refuge.
Prémol : un pré "mou", humide.
Robert (lacs ...) : pourrait rappeler les "moutons", comme le Géranium à robert des pâturages.
Ramettes : (et Ramées) lieu ouvert, sans arbres. Mais aussi l'endroit où les moutons étaient parqués sur l'Alpage (ce qui convient bien puisque le habert de la Balme était tout à côté).
Roche Béranger : le pâturage est marqué par de gros affleurements rocheux, et le Père Tasse raconte y avoir croisé des ours. C'est la fréquentation de l'endroit par cet animal que pourrait désigner "Béranger".
Seiglières : lieu où l'on faisait pousser du seigle.
Sorbier (grand ...) : le nom désignait probablement un lieu plus bas, il est ensuite "monté" sur le sommet à proximité.
Vans : nom d'un sommet désignant probablement son aspect rocheux.
Vaudaine : "Vau" signifiant val, vallée.
A compléter et à corriger
Ce petit dictionnaire des noms de lieux du massif de Chamrousse n'a pas la prétention d'être exhaustif ni exempt d'erreurs.
N'étant pas spécialiste, j'ai essayé de synthétiser les différentes informations recueillies et des les interpréter dans le cadre du Sud de Belledonne.
Si vous avez des suggestions de modifications ou des toponymes à éclaircir, n'hésitez pas à laisser un commentaire.
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